Le fisc belge a publié une nouvelle circulaire administrative le 11 décembre 2024.
Il y formalise la double imposition du contribuable belge « fondateur » d’une « construction juridique » en application de la taxe Caïman.
Dans sa circulaire, le fisc s’autorise à taxer les revenus perçus par une structure étrangère dans le chef du fondateur belge de celle-ci même lorsque le pouvoir de taxation de ces revenus ne lui appartient pas en vertu d’une convention préventive de la double imposition (CPDI).
Il estime qu’il n’y a aucun problème avec cela puisque, en fin de compte, les CPDI ne visent à prémunir que de la double imposition juridique (un même contribuable est taxé deux fois sur le même revenu) et non de la double imposition économique (un même revenu est taxé deux fois dans le chef de deux contribuables différents).
La taxe Caïman : un régime d’imposition par transparence
La taxe Caïman est une taxe qui n'en est pas une. Ce qu'on appelle « taxe Caïman », en référence aux sociétés établies aux îles-Caïman (bastion des paradis fiscaux) n’est pas un impôt en tant que tel mais un régime d'imposition par transparence.
A son origine, la loi du 30 juillet 2013 n’envisageait la taxe Caïman que comme une simple obligation déclarative des trusts, fondations et autres entités ou structures localisées à l'étranger et faiblement imposées. Ce n’est qu’en 2015 que cette obligation s'est mue en un régime d’imposition, lequel a été élargi en 2018, puis à nouveau en 2024.
La taxe Caïman frappe par transparence les revenus perçus par une structure étrangère faiblement imposée appelée « construction juridique » dans le chef de son « fondateur », qui est en général le résident belge qui l’a constitué, comme s’il les avait directement perçus.
Par ce mécanisme, le législateur entend taxer les patrimoines « flottant » localisés à l’étranger avant une quelconque distribution pour inciter les résidents belges à rapatrier ces patrimoines.
Ce régime d’imposition par transparence implique que les dividendes et intérêts perçus par ces structures étrangères sont imposés au taux de 30% dans le chef du contribuable belge à l’impôt des personnes physiques. Quant aux plus-values sur titres, elles ne sont imposables au taux de 33% que si elles résultent d'opérations qui sortent de la gestion normale du patrimoine privé au sens du Code des impôts sur les revenus.
Il faut garder à l’esprit que cette taxation par transparence n’empêche pas l’imposition des revenus distribués par la construction juridique. Il est néanmoins possible d'exonérer certains revenus qui auraient déjà subi leur régime d'imposition dans le chef du résident belge en application de la taxe Caïman.
Le but des CPDI : éviter la double imposition
La loi belge prévoit qu’un résident fiscal belge est taxable sur son revenu « mondial ». Le principe est ainsi qu’il est taxé non seulement sur son revenu de source belge mais aussi sur son revenu d’origine étrangère. Cela peut naturellement conduire à des doubles impositions. Il existe donc des exceptions à ce principe, généralement en raison des CPDI tendant à remédier aux doubles impositions.
Ces conventions déterminent quel État a le pouvoir d’imposer un revenu spécifique pour éviter la double imposition dans le chef du résident d’un Etat qui y est parti.
En général, les conventions bilatérales signées par la Belgique accordent le pouvoir de taxer les bénéfices d'une société à l’Etat où celle-ci est établie, à moins que son activité ne soit exercée via un établissement stable. Ainsi, le plus souvent, le fisc belge est sans pouvoir pour taxer les bénéfices de la société étrangère. Il doit nécessairement attendre que ces revenus soient distribués au contribuable belge (par exemple, sous forme de dividendes ou d’intérêts) pour pouvoir les taxer à l’impôt des personnes physiques.
Articulation malaisée de la taxe Caïman avec les CPDI
Le ministre des Finances est conscient qu'il doit respecter les CPDI signées par la Belgique. Dès 2015, le ministre a confirmé dans les documents parlementaires que « l’imposition par transparence (…) est bien entendu appliqué dans le respect des conventions préventives de la double imposition conclues par la Belgique avec les pays d’origine des revenus ».
Cependant, en application de la taxe Caïman, dès qu’une société étrangère est qualifiée de « construction juridique », le fisc attribue artificiellement les bénéfices de la société étrangère au contribuable belge pour taxer ces bénéfices à l’impôt des personnes physiques sans avoir égard à la manière dont le pouvoir d’imposition est réglé par la CPDI.
Le fisc instaure de ce fait une double imposition puisque les revenus d’une telle structure étrangères sont taxés une première fois dans son Etat de résidence et une seconde fois en Belgique dans le chef du fondateur de la société.
Or, comme nous l’avons souligné, la plupart des CPDI signées par la Belgique attribuent le pouvoir de taxer les bénéfices d’une société à son Etat de résidence.
Le fisc s’arroge donc un pouvoir de taxation qu’il n’aurait pas eu autrement en faisant prévaloir l’application aveugle d’une taxation par transparence découlant d’une norme de droit interne sur le respect des conventions internationales.
Cela revient à balayer d’un revers de la main les CPDI signées par la Belgique et ce en violation manifeste du droit international. Pourtant, la primauté du droit international est reconnue par la Cour de cassation depuis son fameux arrêt « Le Ski » de 1971.
Le fisc justifie son comportement par le fait que les CPDI ne visent à prévenir que les doubles impositions juridiques, et non les doubles impositions économiques. Or, non seulement cette observation est hors sujet en l’absence du pouvoir d’imposer ces revenus, mais en plus, elle est trompeuse. En effet, si la double imposition est économique et non juridique, ce n’est qu’en raison de l’attribution fictive des revenus perçus par la société étrangère au contribuable belge en application d’une disposition de droit interne, et non de la réalité.
Toutefois, les CPDI ne prévoient pas la possibilité d’une imposition par transparence des revenus de la « construction juridique » dans le chef du « fondateur » de celle-ci.
Faut-il rappeler qu’il n’appartient pas à l’administration de faire œuvre de législateur ?
Cela est d’autant plus vrai en droit fiscal en vertu du principe de sécurité juridique, notamment consacré par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme qui a un effet direct en droit interne. En effet, au niveau européen, l’impôt est vu comme une ingérence dans le respect du droit de propriété. Pour être conforme au principe de sécurité juridique, la volonté du législateur doit être exprimée de manière claire et précise afin d’être prévisible dans son application par ses destinataires.
Par conséquent, la loi fiscale ne peut faire l’objet d’une interprétation pour en rechercher le sens. Aussi, la justification de la taxation par transparence par une prétendue interprétation des CPDI conformément à l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale ne tient pas la route.
A fortiori, comme la Belgique n’accorde généralement l'exemption des revenus que s’ils sont imposés dans l'État de source et que les règles sur les CFC (controlled foreign companies) visent déjà à prévenir l’évasion fiscale, l’application de la taxe Caïman en présence d’une CPDI manque de justification. En tout état de cause, l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale ne saurait justifier une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux que constituent la libre circulation des entreprises et des capitaux et le droit de propriété.
Conclusion et points d’action
Il est toutefois essentiel de rappeler qu’en vertu du principe constitutionnel de la légalité de l’impôt, une circulaire administrative ne lie pas le contribuable ou les tribunaux, mais uniquement les membres de l’administration fiscale. Elle sera ainsi suivie par l’administration fiscale lors d’un contrôle ou d’une discussion avec le contribuable. Ce dernier pourrait toutefois formuler ses remarques et s’y opposer.
La seule conclusion acceptable est que les CPDI font obstacle à l’application de la taxe Caïman.
Au final, ce régime d'imposition appliqué aux sociétés couvertes par les CPDI n’a que peu de justification. Il contribue principalement à décourager les investissements dans des sociétés étrangères et alourdit inutilement les obligations déclaratives des contribuables belges.
Il est important d’analyser votre structuration internationale en vue de cette nouvelle vision et d’y apporter les modifications ou précisions qui s’imposent afin d’éviter toute discussion ultérieure avec l’administration fiscale.
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Walid Jaafari
Junior Associate